随笔

Stéphanie du Motel dans les correspondances de Henri Heine

作者:Anqian

1.

Evariste Galois avait passé une partie de ses derniers jours dans la maison de santé du docteur Denis-Louis-Grégoire Faultrier qui se trouvait à 84-86 rue de Lourcine (ou rue de L’Oursine etc., aujourd’hui 94 rue Broca) à Paris. Il y rencontrait une certaine Stéphanie. Beaucoup de gens croient qu’elle était l’“infâme coquette” qui avait provoqué le duel donc la mort de Galois.

Dans son article “Sur la mort d’Evariste Galois”, le chercheur uruguayen Carlos Alberto Infantozzi identifie ce personnage dont le nom se cache derrière des taches d’encre sur la dernière page de la fameuse lettre testamentaire d’Evariste Galois, écrite à la veille de son duel, comme Stéphanie-Félicie Poterin du Motel, qui s’habitait en 1840 à la même adresse que la maison de santé Faultrier. 1

Olivier Courcelle a publié, sur le site Images des Mathématiques, un billet fortement intéressant concernant la vie de Stéphanie. On y voit que Stéphanie s’était mariée le 11 janvier 1840, avec un professeur de langues Oscar-Théophile Barrieu (comme Infantozzi a déjà remarqué dans son article). Leur premier enfant était une fille, Émilie-Henriette, née seulement six mois plus tard le 15 juillet, qui avait pour parrain Henri Heine, le grand écrivain allemand. M. Barrieu et M. Faultrier étaient les témoins de Mme Mathilde Heine (du vrai nom Augustine Crescence Mirat) quand elle se mariait avec M. Heine dans l’année suivante.2

Olivier a donné deux références des lettres qu’Henri Heine avait écrites à Stéphanie du Motel sur le site Heinrich-Heine-Portal de Heinrich-Heine-Institut à Düsseldorf, qui ont incité ma curiosité. J’ai donc fouillé, assez exhaustivement si j’ose dire, les correspondances de Heine au sujet de Stéphanie du Motel. Et voici les résultats.

2.

La connection d’Heine avec la maison de santé Faultrier commençait sans doute à la fin de l’année 1837. Sa maîtresse (et sa future femme) Mathilde était malade et était mise dans cette maison de santé ; Heine la visitait chaque jour (HSA Bd. 21, S. 245 – Brief Nr. 678) (HSA Bd. 21, S. 248 – Brief Nr. 681) (HSA Bd. 21, S. 256 – Brief Nr. 692) (HSA Bd. 21, S. 275 – Brief Nr. 706). Heine y avait gagné des admirateurs (HSA Bd. 25, S. 108 – Brief Nr. 397) (HSA Bd. 21, S. 248 – Brief Nr. 680). Ça devrait être dans cette période que Stéphanie du Motel devenait amie d’Henri et Mathilde.

Au mars 1838, maintenant presque 26 ans, Stéphanie préparait un voyage à Londres. Heine avait écrit pour elle au moins deux lettres de recommandation à ses amis qui vivaient à Londres : une à Heinrich Künzel, un écrivain allemand (HSA Bd. 21, S. 262 – Brief Nr. 696) et l’autre à Ignaz Moscheles, un compositeur de musique (HSA Bd. 21, S. 262 – Brief Nr. 697). “La jeune femme vient à Londres pour enseigner, notamment en musique, et souhaite votre soutien.” On reviendra sur ces deux lettres un peu plus tard au bas.

La carrière professionnelle de Mademoiselle du Motel à Londres n’avait probablement pas très bien marché. Elle arrivait à Londres au début du juin mais l’aventure s’était terminée certainement la même année ou l’année suivante : comme indiqué ci-dessus, elle s’était mariée le 11 janvier 1840, à Paris.

Elle avait écrit au couple Heine, probablement dès l’arrivé à Londres; on ne connait pas le contenu de cette lettre. Henri l’avait répondu dans une lettre au début du juillet 1838 (HSA Bd. 21, S. 282 – Brief Nr. 717): “Apresent je lis et j’écris malgré la defence de mon medeçin; aussi j’ai perdu tout espoir de guerison complète. Vous voyez donc que d’autres gens ont aussi bien que vous des bonnes raisons d’être tristes.” La vie de Stéphanie à Londres n’était pas facile. Mathilde était guérie et avait quitté la maison de santé : “Ma femme travaille du matin au soir; elle a tout-à-fait perdu ces gouts de parresse qu’elle avait contractés pendant sa maladie et sur lesquels vous plaisantez si bien. Nous parlons souvent de vous, et toujours avec un nouveau plaisir.” Mathilde y ajoutait un message: “Je ne saurai vous dire le plaisir, que m’a fait votre aimable souvenir, il m’a prouvé que quoique loin de vous, vous pensiez toujours à moi et croyez bien que si je ne vous ai pas écrit plutot, ce n’est pas par oubli; mais j’ai tant des choses à faire, depuis que je suis partie de chez vous, que je n’ai pas un moment à moi. Je veux vous gronder à mon tour de” (le message se termine ici car la page suivante de la lettre était perdue.)

“…depuis que je suis partie de chez vous…” La famille de Stéphanie habitait donc dans la maison de santé au plus tard la fin de l’année 1837, et y était toujours au moins jusqu’au juillet 1838. Pour répondre à une question du billet d’Olivier: improbable qu’elle s’était déménagée au Croisic après et puis était revenue à la maison de santé au début de 1840 pour le mariage.

Le 31 Août 1840, un mois et demi après la naissance de la petite Émilie-Henriette, Heine répondait à une lettre (comme la précédente, toujours introuvable) de Stéphanie, maintenant Mme Barrieu (HSA Bd. 21, S. 376 – Brief Nr. 824), “J’embrasse ma petite filleule, et comme je vous ai dit, j’espère vous revoir dans une quinzaine.

Je ne sais pas dans quelle circonstance que la relation entre Heine et la famille de Stéphanie s’était dégradée. C’était peut-être juste avant son voyage de 1843 en l’Allemagne. Heine laissait Mathilde seule à Paris et s’inquiétait de ses fréquentations publiques.

Il l’écrivait au 31 octobre 1843 (HSA Bd. 22, S. 70 – Brief Nr. 960): “Je te supplie de ne pas trop te montrer en public, de ne pas aller à la maison de santé; j’espère que tu ne reçevras pas chez toi le chef des Gilles; crois moi tu as des amies et des cidevant amies qui ne demandent pas mieux que de compromettre vis à vis de moi.” D’après le commentaire de la site Heinrich-Heine-Portal, “le chef des Gilles” était Alexandre Weill, un journaliste et écrivain. Stéphanie était considérée comme une de ces “amies” ou “cidevant amies”?

Puis au 2 novembre (HSA Bd. 22, S. 72 – Brief Nr. 962): “C’est un grand éffort que j’ai fait en te laissant seule à Paris, ce terrible gouffre! N’oublie pas que mon œil est toujours fixé sur toi; je sais tout ce que tu fais, et ce que je ne sais pas aprésent je le saurai plus tard.

Puis au 5 novembre (HSA Bd. 22, S. 74 – Brief Nr. 964): “Je te supplie de ne pas voir des gens avec qui je suis mal et qui te trahiraient un jour quand tu sera brouillée avec eux.

Finalement au 10 novembre l’interdiction des contacts avec Stéphanie était explicite (HSA Bd. 22, S. 77 – Brief Nr. 968): “Ne dis pas ce que je t’écris à Me Barieu que tu feras bien de ne pas voir du tout. Raisons graves.

Je n’ai aucune idée de la gravité de ces raisons. De toute façon, après cette date je ne trouve plus aucune trace de Stéphanie du Motel/Mme Barrieu ou un membre de cette famille dans la collection des correspondances de Henri Heine.

En revanche la liaison entre Heine et la maison de santé Faultrier continuait. Il y resterait quelque mois dans l’année 1848, cette fois-ci pour son propre problème de santé. Il continuait à utiliser cette adresse pour recevoir des lettres même après son départ. (HSA Bd. 22, S. 269 – Brief Nr. 1213) (HSA Bd. 26, S. 211 – Brief Nr. 840) (HSA Bd. 22, S. 270 – Brief Nr. 1215) (HSA Bd. 22, S. 271 – Brief Nr. 1217) (HSA Bd. 22, S. 291 – Brief Nr. 1242) (HSA Bd. 22, S. 300 – Brief Nr. 1254)

3.

Revenons à ce jour du 13 juin 1838. Dix jours après avoir quitté Paris, toute seule à Londres, Stéphanie du Motel suppliait une visite de la part de M. Heinrich Künzel. Sur la lettre de recommandation que Heine avait écrit 3 mois avant, elle écrivait :

La date de cette lettre est bien ancienne, n’est-ce pas Monsieur? il y a effectivement long tems que je l’ai entre les mains, mais il n’y a que dix jours que j’ai quitté Paris et lorsque je suis partie Mr Heiné, souffrait tant de ses yeux et de sa tête, que les médicins lui avaient défendu d’écrire et de lire, ce qui fait qu’il n’a pas pu renouveller sa recommandation près de vous en ma faveur. Je vous serai cependant bien reconnaissante Monsieur, d’y avoir égard, Je suis tout à fait étrangère dans ce pays et vous savez combien on est heureux, en pareil cas d’avoir quelqu’un d’assez bon pour s’interesser à nous.

Si vous voulez bien me faire une visite Monsieur pour que j’aie l’honneur de faire votre connaissance je serai on ne peut plus flattée et je vous en remercie d’avance.

Agréez Monsieur l’assurance de la considération distingueé avec laquelle j’ai l’honneur d’être votre servante.

S. du-Motel

Miss du Motel, chez Sir William de Bathe 16 Great Cumberland Street Hyde Park. Vous serez sûr de me trouver tous les jours de 10 heures à 1h.

13 Juin 1838

La lettre avait bien été envoyée dans la journée même, temoignée par les tampons de la Poste londonienne. Je ne sais pas si la visite demandée avait eu lieu. Aujourd’hui la pièce originale de cette lettre se trouve à Hessische Landes- und Hochschulbibliothek Darmstadt (la bibliothèque de l’Université de technologie de Darmstadt). Probablement Stéphanie avait écrit aussi un message pareil sur la lettre destinée à M. Moscheles, mais la pièce originale de celle-ci n’existe plus.

Voici l’écriture de l’“infame coquette”, non par la copie d’Evariste Galois, mais par sa propre main. A cause de la barre trop longue sur la lettre t, elle est toujours identifiée comme “Stéphanie du-Motet” dans la collection des correspondances de Henri Heine.3


Notes

  1. Carlos Alberto Infantozzi, Sur la mort d’Evariste Galois, Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, Volume 21 Numéro 2, p.157-160 (1968) 

  2. Olivier Courcelle, Itinéraire d’une infâme coquette, Images des Mathématiques (2018) 

  3. Par exemple ici et ici

(完)